Fibromyalgie: implications médicales et sociales du diagnostic
Pascal Cathébras, Service de médecine interne, CHU de Saint-Etienne, F-42055 Saint-Etienne Cedex 2
Le diagnostic de fibromyalgie est un diagnostic controversé. Bien que (ou parce que) les symptômes non spécifiques que recouvre ce syndrome soient fréquents, les médecins répugnent à porter le diagnostic, alors que certains patients le revendiquent. La fibromyalgie est-elle une « vraie » maladie? Les médecins doivent-ils y «croire»? Ces questions préoccupent non seulement l’institution médicale, mais aussi toute la société.
Selon le point de vue que l’on adopte, la fibromyalgie peut être considérée alternativement comme: une maladie nouvelle et invalidante dont la cause reste à découvrir; un diagnostic différentiel pour des pathologies telles que l’arthrose, la polyarthrite, le lupus, les myopathies ...; le syndrome somatique fonctionnel du rhumatologue (ce qu’est le syndrome de l’intestin irritable pour le gastroentérologue); un trouble psychiatrique (somatoforme et/ou de l’humeur et/ou anxieux et/ou de personnalité); un diagnostic à la mode pour des symptômes banals de douleur et de fatigue; un marché pour l’industrie pharmaceutique et les médecines alternatives; et sans doute de bien d’autres façons. Le diagnostic de fibromyalgie est-il utile? Au médecin, au patient, à la société? Quelles sont les conséquences de porter, suggérer, ou accepter (selon les cas) ce diagnostic?
Pour tenter de répondre à ces questions, un détour par l’étude du processus de diagnostic en général est nécessaire. En médecine, plus le terrain à baliser est flou (c’est le cas des syndromes fonctionnels et de la «somatisation»), plus les catégories diagnostiques sont nombreuses. Ces catégories sont des étiquettes dont les enjeux médicaux, psychologiques et sociaux sont considérables. Faire un diagnostic, c’est réduire l’incertitude et ouvrir la porte à un traitement ou à défaut à une «prise en charge», mais c’est aussi une réduction de la complexité clinique qui gomme le vécu du malade («disease» versus «illness»). On peut diagnostiquer un symptôme, un syndrome, ou une maladie. La promotion de symptômes ou de syndromes en «maladies» dépend de certaines conditions scientifiques, idéologiques, thérapeutiques, et sociales. Beaucoup de «maladies» ne sont que des syndromes dont les critères ont été établis par «consensus d’experts». Il y a de nombreuses théories du diagnostic, mais de nos jours, faire un diagnostic, c’est avant tout rendre visible et/ou mesurable, à tout prix. Porter un diagnostic a des implications multiples; ouvrir la porte au traitement; calmer l’angoisse ou au contraire induire une menace; légitimer les symptômes et la souffrance; permettre à son patient de bénéficier d’avantages sociaux; financer le système de soins à travers le «codage»; orienter le patient, pour le meilleur et pour le pire, vers une association de malades, lui fournir un mot-clé pour ses recherches sur Internet; et bien d’autres choses encore. Les catégories diagnostiques sont «socialement construites», dans le sens où ces catégories mouvantes reflètent les idéologies sociales en vigueur dans un moment historique et socioculturel donné, et où, en retour, elles modifient la perception des symptômes et leur représentation, et influent donc sur l’évolution des troubles.
Porter le diagnostic de fibromyalgie n’est, en soi, pas différent de porter un quelconque diagnostic syndromique, mais il faut savoir se garder de certains dangers: celui de la facilité, qui entraîne vers la négligence d’un diagnostic alternatif ou d’une comorbidité significative; celui du rejet, par idéologie scientiste ou ignorance; celui de la complaisance, qui peut renforcer les conduites de maladie et enfermer le sujet dans son rôle de malade; celui du nihilisme thérapeutique; celui de la simplification étiopathogénique abusive (dépression masquée, carence de sommeil, hyperalgésie, etc.); celui du déni des enjeux de légitimité et de reconnaissance sociale qui sont au centre de la relation médecin-malade dans la plupart des cas des symptômes fonctionnels; et celui de l’absence de recul épistémologique sur cette catégorie diagnostique, parmi tant d’autres.
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Handout SGIM 2008 |
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27.06.2008 - dde |
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